Sélectionner une page

Homélie de la célébration de la Passion du Seigneur – 10/04/2020

par Mgr Béra

Avant l’homélie, je tenais en introduction, vous livrer l’interrogation du théologien protestant Dietrich Bonhoeffer, exécuté par Hitler le 9 Avril 1945 : « Nous allons au-devant d’une époque totalement irréligieuse. Comment le Christ peut-il devenir le Seigneur des non-religieux dans un monde devenu majeur, pour lequel l’hypothèse Dieu est désormais superflue ? (…) » (Résistance et Soumission p.289) Et il répond, face aux grandes énigmes du monde – que nous vivons encore aujourd’hui – que sont la souffrance, le mal, la mort… « devant Dieu et avec Dieu nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide. Le Christ ne nous aide pas par sa toute- puissance, mais par sa faiblesse et ses souffrances ». Notre Dieu s’est fait vulnérable dans le plus grand abaissement, le plus grand dénuement, celui de la Croix.

Frères et sœurs, un impressionnant silence et une profonde méditation caractérisent le vendredi saint. Oui, aujourd’hui est le Grand Silence. Mais pas d’un silence d’oubli ni d’indifférence. C’est un silence qui parle, qui crie ! Un silence d’amour qui se répand, de miséricorde qui se multiplie. Oui, c’est le moment de contempler le grand mystère d’un Dieu qui meurt pour les hommes, un Dieu qui s’humilie jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est le signe de l’amour suprême.

Jésus est le serviteur humble qui marche vers le Calvaire sous le poids de la Croix. Nous entendons résonner la parole d’Isaïe, Il marche tout seul, abandonné de tous, méprisé, « il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ». « Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. »

La Passion de Jésus Christ selon Saint Jean est l’heure du Christ et sa glorification. Elle n’est pas une histoire lointaine, elle nous appartient et nous lui appartenons. La croix que Jésus porte est notre croix. Ce sont nos souffrances qu’Il porte, nos douleurs dont Il est chargé. Et aujourd’hui, nous le sentons bien, dans le monde dans lequel nous vivons. Aujourd’hui, Jésus continue de parcourir le chemin de nos calvaires. Il marche avec nous sur nos routes, Il passe par nos rues et nos places – même si en ce moment, elles sont désertes.

Il vient à la rencontre des perdus, des souffrants, des marginalisés, de nos périphéries. Ses gestes et son regard de tendresse, de compassion et de pardon sont envoyés à nous, à chacun d’entre nous. Il tend la main aux pécheurs, aux aveugles, aux boiteux, aux lépreux de notre temps. Son regard d’amour se fixe sur tous les angoissés et désespérés de ce monde.

Comment le dire mieux que l’Évangile : « Ecce homo », « Voici l’homme ». Le silence de Jésus est touchant : Il ne répond pas à ceux qui le maltraitent, Il marche vers le Calvaire par l’acte suprême d’amour pour l’humanité.

Jésus donne à son dernier souffle – et nous y voyons avec les pères de l’Église, quand Il remet l’Esprit, c’est l’Esprit Saint. Il donne l’Esprit. Il livre sa vie dans les mains du Père. Il la livre pour nous, pour nous tous. Le soldat lui perce le côté avec une lance et Jésus donne pour nous la dernière goutte de son sang et de l’eau, Il donne toute sa vie.

De ce côté transpercé par la lance naît l’Église, naît la communauté des disciples qui se nourrira des sacrements de la vie nouvelle, de l’eau vivante du baptême et du corps et du sang de la nouvelle et éternelle alliance de l’Eucharistie.

Au fond l’heure est dramatique mais n’est pas la fin. A ce moment, la Croix devient un instrument de salut et de rédemption. Elle est l’arbre de vie dont le fruit est offert à toute l’humanité. C’est pour cela que nous vénérons la croix aujourd’hui. Car elle ne signifie pas une mort à toujours, mais une vie triomphante, définitive.

Près de la Croix se tenaient Marie et le disciple aimé, près de la Croix se tient toute l’humanité. Les bras ouverts de Jésus sur la Croix sont l’étreinte éternelle de Dieu à tous les hommes de tous les temps. Oui, le moment est de profonde contemplation, de prière et de méditation.

Recueillons-nous, restons en silence à intérioriser, à garder dans le plus profond de nos cœurs cet extraordinaire moment de notre foi et de notre salut.